mythe celtique motif   Mon parcours   mythe celtique motif


Mon cheminement de conteur proprement dit a débuté en 1996. C'est dans l'archipel britannique, où je vivais alors, que j'ai fait mes premiers pas sur la route aux histoires, aux côtés de deux jeunes conteuses devenues depuis des artistes de renom outre Manche : Katy Cawkwell et Vergine Gulbenkian. Breton exilé au Royaume-Uni pour ses études, et de longue date amoureux des cultures celtiques anciennes et modernes, c'est tout naturellement que la matière de Bretagne d'abord, puis d'Irlande, d'Ecosse et du Pays de Galles m'a imprégné. De retour en France, j'ai ensuite fondé et dirigé l'atelier contes de la Mission Bretonne, à Paris. J'ai par la suite eu le privilège de travailler sous la direction de Bruno De La Salle au sein de l'Atelier Fahrenheit 451, au CLiO (Centre de Littérature Orale de Vendôme). C'est dans ce magnifique lieu, cette troupe qui n'en portait pas le nom,  que j'ai réellement approfondi l'art du conte comme performance totale : orale, visuelle et musicale. De ce long compagnonnage est né l'Exil des Fils d'Uisliu, une épopée ancienne qui est à la culture irlandaise ce que l'histoire de la Guerre de Troie est à la culture grecque antique. La rencontre en 2006 avec Birgit Yew, violoncelliste d'exception, grande connaisseuse des traditions musicales celtiques, m'a permis de concrétiser mon ambition première : redonner vie, souffle et forme moderne, à un chef d'oeuvre de l'art des anciens bardes. Rythme, musique et chant sont depuis les compagnes naturelles l'art de la parole tel que je le conçois.

Les années passant, de compagnonnages en rencontres en France et en Australie (où j'ai le privilège d'étudier langues et cultures aborigènes depuis plus de dix ans), je me suis enrichi de mille influences dans mes techniques de racontée. Des années placées sous le signe de l'exploration, en France et ailleurs, des cultures traditionnelles et anciennes du monde celte, d'Irlande, de Bretagne, du pays de Galles et d'Ecosse, que je marie occasionnellement à celles du nord de l'Australie. Leurs chants, leurs danses, leurs récits, leurs histoires et leurs Histoires ont nourri mon cheminement artistique. De breton deus Paris, vannetais déraciné de seconde génération, je suis devenu conteur de toutes les traditions celtiques, chanteur de kan ha diskan comme de ballades gaéliques, joueur de bodhrán (percussion irlandaise) et de didgeridoo, comme de grande cornemuse - le seul instrument partagé par les cultures bretonnes, écossaises et irlandaises. Tout un symbole !


Mais pourquoi raconter ?

Fils d'un émigré breton "monté" à Paris dans les années 1960-1970, j'ai toujours eu une conscience aiguë de ce cette singularité de l'âme bretonne, que l'on peut nommer de différents noms : rêverie, imagination - ou, qualifier par raillerie, de "quatorze vents sous le chapeau". Or ces vents-là, ai-je découvert plus tard, sont un trésor ; pas une honte. Ils sont le recours suprême des petits affrontés aux grands ; ils sont la planche de salut du faible acculé par le fort. Ces vents-là, ils tracent bien des chemins, même dans les forêts les plus sombes et les plus périlleuses.  Ces vents-là, ils ouvrent bien des fenêtres, même dans les plus épais et crénelés des murs. Ils sont la gloire des manants, des sans-grade, et des enfants. Ils font l'envie des rois et des forts qui ne ressentent pas leur souffle dans quelque recoin de leur crâne. Car au bout du combat, les Ulysse passent les murailles de Troie, alors que les Achille ne les passent pas: ils étaient trop occupés à trépasser dans un fracas de fin du monde, un laridée de noces du diable, comme on on dirait chez moi. Leur grand malheur, voyez-vous, est qu'ils s'échinaient à souffler la tempête qu'ils n'avaient pas dans leurs grosses, leurs rutilantes têtes de héros.

L'homme qui songe, invente, dit, le conteur, est l'Ulysse de la parole. Il est le vrai champion de la vie, celui qui porte haut ses couleurs ; il est le seul héros qui compte/conte - le hérault de l'humanité. Car conter, c'est précisément a-grandir notre humanité. L'aphorisme socratique qui veut que l'Humain soit un 'zôon logikon', un animal raison-parlant, ne saisit l'humaine nature que par son bout généralement le plus ténu - et toujours le plus tardif. Depuis son premier jour, la femme comme l'homme est avant toute chose une créature d'histoire, de mythos et d'epos ; le logos ne vient que par dessus le marché, en sus, et parfois, en trop, s'il est le mauvais drap jeté sur une mauvaise raison.

Ce n'est pas la parole rationnelle, ce sont les paroles narratives, ces voix ailées, qui nous enseignent les fondements de notre nature et du monde, qui nous guident sur les chemins de la vie, sur tous les chemins de la vie les tristes, les joyeux, les âpres, les doux, et ce depuis nos premiers instants. D'ailleurs, puisque nous en parlons, la parole scientifique même, quand elle se construit n'est-elle pas une épopée ? Une découverte, c'est toujours un long voyage périlleux, par-delà les tentations, les renoncements et les dangers. C'est toujours une lutte pied-à-pied pour surmonter les pièges des faux-arguments et contourner les écueils des raisonnements fallacieux, ou trop facilement adoptés - ces chants de sirènes auxquels l'Ulysse-chercheur ne doit pas succomber. Ma carrière de chercheur m'a aussi appris combien le filage des mots importe - comment les arranger en récit donne de la chair, de la couleur et du sens à toute chose, surtout la plus abstraite et plus obscure. Conter est tout simplement l'acte le plus significatif d'une vie.


...Et pourquoi raconter un ensemble de répertoires auquels s'identifier ?


Oui, conter, c'est exercer son humanité ; c'est aussi en devenir le co-auteur, avec son auditoire, partenaire de conte - auctor : celui qui fonde, mais aussi qui augmente. La singularité assumée, la sincérité profonde de ces paroles celtiques que je cultive comme mon jardin premier, c'est paradoxalement pour moi un engagement humaniste, un engagement universaliste. En prêtant ma voix à ces traditions orales, en les portant comme sujet parlant à d'autres sujets, différents mais se reconnaissants universellement sujets, je révèle et mon humanité, et la leur : il n'est pas un détail singulier de ces cultures qui ne trouve d'écho en d'autres, de même qu'il n'est pas de JE qui ne parle à un TU.


En me livrant dans mon histoire personnelle, ancrée dans ces terres d'histoires si singulières, qui sont miennes par héritage autant que par voyage dans le temps et l'espace, en ouvrant grandes les portes de cette maison-culture partagée le temps du récit, je donne à chacun-e à s'y voir, en creux ou en plein. Témoin, passeur, chaînon d'humanité: d'un JE à un TU, à des VOUS, agents également. Le conte tisse des liens de moi à l'autre / aux autres, et inversement. Il nous relie par-delà nos différences de surface, qui sont autant de ressemblances profondes. Egalement sujets, également agents de ce bel acte partagé qu'est la parole contée, ce concentré d'humanités.