La tradition orale de Bretagne
De toutes les nations celtiques, la Bretagne est la plus jeune ;
les premiers migrants de l'île de Grande-Bretagne se sont installés
dans la péninsule armoricaine avant même la fin de l'Empire Romain,
à la faveur de migrations militaires. Dans les siècles suivants, la
migration bretonne s'intensifie : c'est alors que l'Armorique
romaine devient Bretagne, du nom de l'île occupée par les Bretons y
ayant migré. Indépendant.e.s de fait pendant des siècles, les
principautés bretonnes, le royaume et le duché de Bretagne ont
conquis des territoires occupés par des populations de langue et de
culture romanes à leur apogée, avant d'être conquis à leur tour par
le Royaume de France.
La tradition orale bretonne est naturellement héritière à la fois
du vieux fond gallo-roman commun à tout l'ouest de la France, mais
aussi d'un fond spécifiquement britonnique, qu'elle partage
largement avec le sud de l'Angleterre et le pays de Galles.
Dès le mileu du 19ème siècle et l'avènement du romantisme comme
mouvement explorant les sources anciennes et non-gréco-latines de la
tradition européenne, et singulièrement le folklore germanique et
celtique, la Bretagna a été au premier plan des travaux de
collectage de ce que l'on nomme communément les contes et légendes
populaires. François-Marie
Luzel (1821-1895) fait incontestablement de figure de père
fondateur ; grâce à l'appui d'Ernest Renan, il fut chargé d'une
mission de collectage de récits anciens en Basse-Bretagne, et fit
une moisson prodigieuse de contes et légendes dans son Trégor natal.
La "querelle du Barzaz-Breiz" de la Villemarqué marqua un premier
tournant important dans l'histoire de l'étude de la tradition orale
bretonne - la vive controverse liée à l'oeuvre-phare d'Hersart de la
Villemarqué fit alors (et fait encore !) couler une encre abondante,
et souvent acrimonieuse. Mi-faussaire-, mi-collecteur authentique
(comme l'a démontré Donatien Laurent), bien que de seconde main (il
ne parlait pas un mot de breton, et ses textes ne peuvent faire
illusion auprès de bretonnants natifs à cet égard), de la
Villemarqué reste aujourd'hui l'une des personnalités les plus
équivoques et fascinantes des études celtiques, presque à l'égal de
James
Macpherson, l'auteur-arrangeur (et très partiellement,
traducteur) des "Poèmes
Ossianiques" - Macpherson ayant puisé dans un authentique fond
oral écossais, très vivace à son époque, que l'Ecosse et l'Irlande
ont en commun, et qui relate les avanture de Finn MacCool et de ses
compagnons, les Fianna. (Mon répertoire de conteur comporte de
nombreux récits authentiquement traditionnels, et appartenant à ce
qu'il convient d'appeler le "cycle ossianique").
Après Luzel, on songera bien sûr à Anatole
Le Braz (1857-1926), dont la célèbre "Légende de la Mort chez
les Bretons Armoricains" est sans aucun doute l'oeuvre la plus
marquante - et la plus fréquemment racontée. Mon propre répertoire
contient nombre de récits publiés par cet auteur et collecteur de
génie, qui officia lui aussi principalement en Trégor, dans la
région de Port-Blanc. Le portrait que Le Braz a dressé d' "an
oberour ar Marv" ("l'ouvrier de la Mort"), "ar Paotr an Ankou",
l'ANKOU, résonne avec force et profondeur dans l'imaginaire
collectif des Bretons. Ce personnage, lointain héritier du Roi des
Enfers Celtiques, est de loin le plus marquant dans le fond
mythologique celtique qui imprègne la tradition orale bretonne. Mais
tous les récits d'Ankou ne sont pour autant pas des récits
effrayants ; Per Denez a notamment retranscrit plusieurs contes
parodiques tournant en dérision ce sujet d'ordinaire...effarant
(récits parodiques dont je fais mon miel dans mes Contes
fantastiques).
Pour la Basse-Bretagne, il faudrait aussi bien sûr encore citer François
Cadic et Zacharie
Le Rouzic, qui officièrent eux de l'autre côté de la Bretagne,
en pays vannetais,
Yvon Crocq pour la région du Cap Sizun....
Le patrimoine oral de la Haute-Bretagne a eu aussi ses champions,
en particulier l'immense Paul
Sébillot, sans conteste l'un des folkloristes français les
plus remarquables, et les plus prolifiques. Plus près de nous, Albert
Poulain a également fait une oeuvre de collectage
considérable, à une date tout à fait récente.
Le site de l'association Dastum offre (cliquez
ici) la possibilité précieuse de découvrir des collectages
récents effectués en Haute comme en Basse Bretagne.